Editorial de Louis-Pol Delestée, absurdité administrative?
MessagePublié :12 juil. 2014, 09:04
Éditorial de Louis-Pol Delestrée dans les cahiers numismatiques de la SENA
LES SOURCES DE L’ÉTUDE NUMISMATIQUE ET L’UTILISATION DES DONNÉES
Instruit par certains milieux qui tendent à considérer l’archéologie comme un monopole d’État (1), un étrange procès commence à se faire jour, celui de la validité administrative du matériel d’étude et donc des monnaies qui viennent à la connaissance des numismates. (2).
En bref, et sans forcer le trait, seules seraient dignes d’intérêt les monnaies issues d’opérations menées en fouille par des professionnels de l’archéologie. Les monnaies conservées ou trouvées au fil des ans par les particuliers, considérées comme « hors contexte » apparaitraient comme « douteuses » et ne seraient pas prises en compte par les chercheurs professionnels (3).
Une telle aberration mérite de notre part une mise au point précise, assortie d’un rappel du rôle et de la fonction du numismate qui doit disposer librement des sources archéologiques, des collections publiques et des collections privées, pour fonder ses travaux.
I- Les sources archéologiques sont bien sûr les plus nobles et fiables, avec toutefois d’évidentes réserves. Le plus grand intérêt des monnaies trouvées en fouille est de leur conférer une provenance certaine et dans le meilleur des cas, un contexte significatif. Mais l’abus du terme « contexte » par certains auteurs est trop souvent à l’origine d’ambiguïtés et de confusions (4). Le mot « contextus » en latin ne signifie rien d’autre qu’assemblage, réunion, enchaînement. En réalité, la notion de « contexte » est fort variable et peut n’apporter que peu d’enseignements sur les monnaies qui en sont issues. Bien sûr, la situation idéale est celle d’une monnaie trouvée en stratigraphie bien datée et mieux encore, en place dans un niveau homogène scellé au sommet par des couches supérieures.
Notons que même dans ce cas, une monnaie dite « résiduelle » ne présente qu’un intérêt relatif. Il reste qu’en dehors de notables exceptions, la découverte de monnaies antiques, mérovingiennes ou médiévales en stratigraphie, c’est à dire en milieu clos, est assez rare (5).
Sur bien des sites identifiés, le « contexte » n’est que le milieu général lié à des structures parmi lesquelles la monnaie a été trouvée avec de multiples nuances selon que ce site a été réoccupé ou non. Ainsi, le « contexte » au sens large de monnaies gauloises ou romaines ne sera, le plus souvent, qu’une ferme indigène, un lieu de culte fréquenté sur une durée plus ou moins longue, un habitat, un théâtre, une villa ou un camp militaire. Il advient souvent que des trouvailles de surface, même issues de sols remaniés, puissent s’intégrer dans des « contextes » bien définis et qui n’ont pas été perturbés par la suite (6).
Sur un tout autre plan, il faut souligner que les monnaies de fouille, doivent être signalées, publiées, et surtout disponibles, accessibles pour les spécialistes, ce qui en France est loin d’être le cas.
II- Les collections publiques sont précieuses et ont été, depuis le XIXe siècle, le terreau naturel des études numismatiques. Mais leurs limites sont bien connues. Les plus anciennes collections ont été constituées beaucoup plus en fonction des qualités esthétiques des monnaies elles-mêmes qu’en regard de leurs « contextes » initiaux. Il s’ensuit que les plus riches collections nationales n’offrent qu’une infime proportion de provenances et de contextes exploitables par le numismate. Cette lacune est particulièrement grave pour les monnaies gauloises à peu près muettes, ou pour les monnaies mérovingiennes et parfois médiévales dont la localisation précise est pourtant de nature à faciliter la recherche d’une attribution plausible.
En outre, si certaines monnaies des collections publiques maintes fois reprises , ressassées, dessinées, photographiées par les auteurs , ont été répertoriées et publiées, d’autres nombreuses ont disparu ou ne sont pas accessibles (7), parfois même non inventoriées pour des raisons qu’il vaut mieux ne pas approfondir ici.
III- Venons-en aux collections privées. Celles-ci, générales, régionales ou locales sont très nombreuses et la connaissance que nous avons de plusieurs d’entre elles nous permet d’affirmer qu’elles renferment en toutes époques les plus grandes richesses numismatiques de notre pays. À peine exploitées, elles constituent actuellement un champ illimité pour la recherche numismatique.
On y trouve bien sûr des monnaies « de collection » achetées au fil des ans sur le marché numismatique, et qui sont en partie connues par des catalogues bien illustrés, mais régulièrement dépourvues de provenances. Choisies en fonction de leur bel aspect, ces monnaies sont souvent représentatives sur le plan de la typologie, mais leur intérêt scientifique est somme toute limité. Il n’en va pas de même pour les centaines de milliers de monnaies trouvées plus ou moins fortuitement depuis plus de quatre décennies par des amateurs, à l’occasion de prospections de surface. Dans leur grande majorité, ces amateurs, curieux de tout ce qui touche à leur histoire locale ou régionale et férus d’archéologie et de numismatique, disposent de données d’autant plus précieuses que leur pérennité n’est pas assurée au delà d’une génération. Ce sont dans ces collections disparates que se trouvent des objets entre autres monétaires jadis si rares, des monnaies inédites assorties de légendes inconnues et des effectifs monétaires susceptibles d’enrichir notablement, en particulier pour les époques gauloise et mérovingienne, les statistiques sur lesquelles se fondent désormais les avancées les plus significatives. Ce sont bien les collections privées qui procurent, avec le matériel de fouille, les provenances les plus précises et les plus fiables que l’on cherche en vain dans les registres d’entrée et dans les éventuels catalogues réunis autour des collections publiques. Il n’est pas rare en outre que les classements par sites des amateurs permettent au chercheur d’obtenir un contexte au moins numismatique, toujours riche d’enseignements.
Le défaut majeur des collections privées reste sans nul doute leur existence confidentielle : c’est au prix d’approches facilitées parfois par les Associations et Sociétés numismatiques locales et de rapports de confiance entre l’amateur et le chercheur que des documents irremplaçables peuvent venir au jour.
***
Il paraît nécessaire de rappeler une fois encore que le numismate doit contribuer par tous les moyens dont il dispose, à une meilleure connaissance de l’Histoire. Il a le droit et le devoir d’exploiter à sa convenance et sous sa responsabilité scientifique les sources qui s’offrent à lui. La liberté d’expression dont il jouit comme tous nos concitoyens est le plus sûr garant de ses travaux et des ses publications dans des Revues scientifiques appropriées.
Or, une campagne de dénigrement, dont les vraies raisons sont dogmatiques, menacerait à présent l’immense matériel dit « officieux » qui serait même considéré comme inexistant par certains beaux esprits, émules de Savonarole. Une telle orientation conduirait à la disparition pure et simple d’une part importante de notre patrimoine numismatique et entraînerait un cortège d’absurdités dont l’effet induit serait d’annuler rétroactivement la majeure partie des travaux accumulés depuis le XIXe siècle.
L’article précité ( supra note 3) fournit à cet égard l’exemple – type d’une démarche bien peu scientifique : l’auteur fait état, au début de son article, d’une monnaie baléare d’EBVSVS ramassée parmi d’autres pièces sur le site fortifié de Vieux-Laon ( Bibrax) par un groupe de détectoristes autorisés , mais ne prend pas en compte les monnaies gauloises du camp militaire de La Chaussée-Tirancourt ( Somme) trouvés exactement dans les mêmes conditions, mais qu’il croit devoir qualifier d’opaques…
Le numismate – professionnel ou indépendant, peu importe- n’a pas à se fourvoyer dans de telles casuistiques. Il examine, analyse et le cas échéant publie les monnaies dont il a connaissance et doit bien prendre soin, comme tout chercheur qui se respecte, de vérifier et de commenter au besoin l’authenticité de ses sources.
Les monnaies de fouilles, après un délai légal, doivent pouvoir être consultées par quiconque et peuvent être publiées si elles ne le sont pas déjà.
Les collections publiques doivent rester à l’entière disposition des chercheurs, car elles appartiennent au patrimoine commun.
Les collections privées, loin d’être frappées d’opprobre, doivent être inventoriées tant par les spécialistes que par les amateurs eux-mêmes : il n’est pas inutile de rappeler ici que les possesseurs d’objets mobiliers en sont légalement présumés propriétaires (8) ce qui permet au numismate d’utiliser à sa convenance et sans aucune contrainte d’innombrables données officieuses, qui pourront ainsi devenir officielles dès que la communauté scientifique en bénéficiera.
En conclusion, il est peut être opportun de rappeler une vérité première : la discrimination arbitraire et le déni de réalité ne sont jamais compatibles avec l’étude scientifique.
À dire vrai, un chercheur- ou une chercheuse- qui accepterait délibérément de « sacrifier » une part essentielle de notre patrimoine numismatique sur l’autel d’un « politiquement correct » douteux et bien sûr provisoire, serait en position de se voir décerner un prochain prix Lyssenko.
***
NOTES
(1) L.-P. Delestrée, L’archéologie, science humaine ou monopole d’État ? Bull. numismatique de C.G.B. n° 130, avril 2014, p. 18.
(2) Un rapport déposé en 2011 par le C.N.R.A. (Conseil National de la Recherche Archéologique) organe consultatif et anonyme du Min. de la Culture, irait jusqu’à imposer une « charte de déontologie » aux chercheurs professionnels, qui ne pourraient plus « collaborer avec des personnes non autorisées par l’État » (sic) ni se référer dans leurs publications à des données présumées « douteuses » par l’Administration. Il est heureux que la liberté d’expression figure encore dans notre Constitution…
(3) St. Martin, Les monnaies méditerranéennes en Gaule du nord (150 av.-100 ap. J.-C.) RN 2013, p.329-354. C’est ainsi que cet auteur, dans son exposé non exempt d’erreurs et de sérieuses lacunes, considère comme « opaques » les importants lots monétaires récoltés légalement sur le camp militaire de La Chaussée-Tirancourt (Somme) et décide arbitrairement de ne les pas prendre en compte. Or, cet ensemble monétaire exceptionnel figure en bonne place dans la C.A.G. de la Somme, 80/2 2012, 187-p. 279 à 284, dont l’auteur n’est autre qu’un membre éminent du S.R.A. de Picardie.
(4) Une conférence sur le thème « Monnaie et Archéologie » aura lieu lors de la réunion d’Octobre 2014 à la S.É.N.A. Bien entendu, la question complexe de la monnaie « en contexte » y sera précisément évoquée.
(5) À titre d’exemple, l’ensemble cultuel de Digeon (Somme) a livré lors de fouilles programmées plus de 5800 monnaies gauloises. Seul un dépôt de 29 monnaies en or était en place mais hors stratigraphie, et moins d’une vingtaine de monnaies se trouvaient dans un niveau datable pas vraiment clos. Cf. L.-P. Delestrée, Monnayages et peuples gaulois du nord-ouest, éd. Errance et Maison Florange, Paris 1996, Chap. X p. 88-96.
(6) À propos de l’article précité (supra note 3), le fait de rejeter des ensembles monétaires très homogènes (note 19 de l’article en cause) trouvés sur les emplacements reconnus de camps militaires post-césariens de l’armée romaine, jamais réoccupés par la suite, en les qualifiant d’ailleurs à tort d’oppida, dénote une méconnaissance de la réalité du terrain et de la notion même de « contexte archéologique ».
(7) C’est ainsi, par exemple, qu’une large part des collections conservées au M.A.N. et assorties d’utiles provenances (fouilles anciennes) n’est pas consultable depuis plus d’un demi-siècle, sauf par de rares privilégiés, et que l’admirable collection de l’Hôtel des Monnaies de Paris a été mise en caisses et envoyée en province dans un dépôt inaccessible pour les chercheurs.
(8) « En fait de meubles, la possession vaut titre » (article 2276 du Code Civil).
En d’autres termes, le citoyen qui possède des monnaies en est réputé propriétaire légitime, sauf à celui qui contesterait cette présomption légale d’assumer la charge de la preuve contraire.
***
Louis-Pol Delestrée,
Directeur de publication des Cahiers Numismatiques de la S.É.N.A.
LES SOURCES DE L’ÉTUDE NUMISMATIQUE ET L’UTILISATION DES DONNÉES
Instruit par certains milieux qui tendent à considérer l’archéologie comme un monopole d’État (1), un étrange procès commence à se faire jour, celui de la validité administrative du matériel d’étude et donc des monnaies qui viennent à la connaissance des numismates. (2).
En bref, et sans forcer le trait, seules seraient dignes d’intérêt les monnaies issues d’opérations menées en fouille par des professionnels de l’archéologie. Les monnaies conservées ou trouvées au fil des ans par les particuliers, considérées comme « hors contexte » apparaitraient comme « douteuses » et ne seraient pas prises en compte par les chercheurs professionnels (3).
Une telle aberration mérite de notre part une mise au point précise, assortie d’un rappel du rôle et de la fonction du numismate qui doit disposer librement des sources archéologiques, des collections publiques et des collections privées, pour fonder ses travaux.
I- Les sources archéologiques sont bien sûr les plus nobles et fiables, avec toutefois d’évidentes réserves. Le plus grand intérêt des monnaies trouvées en fouille est de leur conférer une provenance certaine et dans le meilleur des cas, un contexte significatif. Mais l’abus du terme « contexte » par certains auteurs est trop souvent à l’origine d’ambiguïtés et de confusions (4). Le mot « contextus » en latin ne signifie rien d’autre qu’assemblage, réunion, enchaînement. En réalité, la notion de « contexte » est fort variable et peut n’apporter que peu d’enseignements sur les monnaies qui en sont issues. Bien sûr, la situation idéale est celle d’une monnaie trouvée en stratigraphie bien datée et mieux encore, en place dans un niveau homogène scellé au sommet par des couches supérieures.
Notons que même dans ce cas, une monnaie dite « résiduelle » ne présente qu’un intérêt relatif. Il reste qu’en dehors de notables exceptions, la découverte de monnaies antiques, mérovingiennes ou médiévales en stratigraphie, c’est à dire en milieu clos, est assez rare (5).
Sur bien des sites identifiés, le « contexte » n’est que le milieu général lié à des structures parmi lesquelles la monnaie a été trouvée avec de multiples nuances selon que ce site a été réoccupé ou non. Ainsi, le « contexte » au sens large de monnaies gauloises ou romaines ne sera, le plus souvent, qu’une ferme indigène, un lieu de culte fréquenté sur une durée plus ou moins longue, un habitat, un théâtre, une villa ou un camp militaire. Il advient souvent que des trouvailles de surface, même issues de sols remaniés, puissent s’intégrer dans des « contextes » bien définis et qui n’ont pas été perturbés par la suite (6).
Sur un tout autre plan, il faut souligner que les monnaies de fouille, doivent être signalées, publiées, et surtout disponibles, accessibles pour les spécialistes, ce qui en France est loin d’être le cas.
II- Les collections publiques sont précieuses et ont été, depuis le XIXe siècle, le terreau naturel des études numismatiques. Mais leurs limites sont bien connues. Les plus anciennes collections ont été constituées beaucoup plus en fonction des qualités esthétiques des monnaies elles-mêmes qu’en regard de leurs « contextes » initiaux. Il s’ensuit que les plus riches collections nationales n’offrent qu’une infime proportion de provenances et de contextes exploitables par le numismate. Cette lacune est particulièrement grave pour les monnaies gauloises à peu près muettes, ou pour les monnaies mérovingiennes et parfois médiévales dont la localisation précise est pourtant de nature à faciliter la recherche d’une attribution plausible.
En outre, si certaines monnaies des collections publiques maintes fois reprises , ressassées, dessinées, photographiées par les auteurs , ont été répertoriées et publiées, d’autres nombreuses ont disparu ou ne sont pas accessibles (7), parfois même non inventoriées pour des raisons qu’il vaut mieux ne pas approfondir ici.
III- Venons-en aux collections privées. Celles-ci, générales, régionales ou locales sont très nombreuses et la connaissance que nous avons de plusieurs d’entre elles nous permet d’affirmer qu’elles renferment en toutes époques les plus grandes richesses numismatiques de notre pays. À peine exploitées, elles constituent actuellement un champ illimité pour la recherche numismatique.
On y trouve bien sûr des monnaies « de collection » achetées au fil des ans sur le marché numismatique, et qui sont en partie connues par des catalogues bien illustrés, mais régulièrement dépourvues de provenances. Choisies en fonction de leur bel aspect, ces monnaies sont souvent représentatives sur le plan de la typologie, mais leur intérêt scientifique est somme toute limité. Il n’en va pas de même pour les centaines de milliers de monnaies trouvées plus ou moins fortuitement depuis plus de quatre décennies par des amateurs, à l’occasion de prospections de surface. Dans leur grande majorité, ces amateurs, curieux de tout ce qui touche à leur histoire locale ou régionale et férus d’archéologie et de numismatique, disposent de données d’autant plus précieuses que leur pérennité n’est pas assurée au delà d’une génération. Ce sont dans ces collections disparates que se trouvent des objets entre autres monétaires jadis si rares, des monnaies inédites assorties de légendes inconnues et des effectifs monétaires susceptibles d’enrichir notablement, en particulier pour les époques gauloise et mérovingienne, les statistiques sur lesquelles se fondent désormais les avancées les plus significatives. Ce sont bien les collections privées qui procurent, avec le matériel de fouille, les provenances les plus précises et les plus fiables que l’on cherche en vain dans les registres d’entrée et dans les éventuels catalogues réunis autour des collections publiques. Il n’est pas rare en outre que les classements par sites des amateurs permettent au chercheur d’obtenir un contexte au moins numismatique, toujours riche d’enseignements.
Le défaut majeur des collections privées reste sans nul doute leur existence confidentielle : c’est au prix d’approches facilitées parfois par les Associations et Sociétés numismatiques locales et de rapports de confiance entre l’amateur et le chercheur que des documents irremplaçables peuvent venir au jour.
***
Il paraît nécessaire de rappeler une fois encore que le numismate doit contribuer par tous les moyens dont il dispose, à une meilleure connaissance de l’Histoire. Il a le droit et le devoir d’exploiter à sa convenance et sous sa responsabilité scientifique les sources qui s’offrent à lui. La liberté d’expression dont il jouit comme tous nos concitoyens est le plus sûr garant de ses travaux et des ses publications dans des Revues scientifiques appropriées.
Or, une campagne de dénigrement, dont les vraies raisons sont dogmatiques, menacerait à présent l’immense matériel dit « officieux » qui serait même considéré comme inexistant par certains beaux esprits, émules de Savonarole. Une telle orientation conduirait à la disparition pure et simple d’une part importante de notre patrimoine numismatique et entraînerait un cortège d’absurdités dont l’effet induit serait d’annuler rétroactivement la majeure partie des travaux accumulés depuis le XIXe siècle.
L’article précité ( supra note 3) fournit à cet égard l’exemple – type d’une démarche bien peu scientifique : l’auteur fait état, au début de son article, d’une monnaie baléare d’EBVSVS ramassée parmi d’autres pièces sur le site fortifié de Vieux-Laon ( Bibrax) par un groupe de détectoristes autorisés , mais ne prend pas en compte les monnaies gauloises du camp militaire de La Chaussée-Tirancourt ( Somme) trouvés exactement dans les mêmes conditions, mais qu’il croit devoir qualifier d’opaques…
Le numismate – professionnel ou indépendant, peu importe- n’a pas à se fourvoyer dans de telles casuistiques. Il examine, analyse et le cas échéant publie les monnaies dont il a connaissance et doit bien prendre soin, comme tout chercheur qui se respecte, de vérifier et de commenter au besoin l’authenticité de ses sources.
Les monnaies de fouilles, après un délai légal, doivent pouvoir être consultées par quiconque et peuvent être publiées si elles ne le sont pas déjà.
Les collections publiques doivent rester à l’entière disposition des chercheurs, car elles appartiennent au patrimoine commun.
Les collections privées, loin d’être frappées d’opprobre, doivent être inventoriées tant par les spécialistes que par les amateurs eux-mêmes : il n’est pas inutile de rappeler ici que les possesseurs d’objets mobiliers en sont légalement présumés propriétaires (8) ce qui permet au numismate d’utiliser à sa convenance et sans aucune contrainte d’innombrables données officieuses, qui pourront ainsi devenir officielles dès que la communauté scientifique en bénéficiera.
En conclusion, il est peut être opportun de rappeler une vérité première : la discrimination arbitraire et le déni de réalité ne sont jamais compatibles avec l’étude scientifique.
À dire vrai, un chercheur- ou une chercheuse- qui accepterait délibérément de « sacrifier » une part essentielle de notre patrimoine numismatique sur l’autel d’un « politiquement correct » douteux et bien sûr provisoire, serait en position de se voir décerner un prochain prix Lyssenko.
***
NOTES
(1) L.-P. Delestrée, L’archéologie, science humaine ou monopole d’État ? Bull. numismatique de C.G.B. n° 130, avril 2014, p. 18.
(2) Un rapport déposé en 2011 par le C.N.R.A. (Conseil National de la Recherche Archéologique) organe consultatif et anonyme du Min. de la Culture, irait jusqu’à imposer une « charte de déontologie » aux chercheurs professionnels, qui ne pourraient plus « collaborer avec des personnes non autorisées par l’État » (sic) ni se référer dans leurs publications à des données présumées « douteuses » par l’Administration. Il est heureux que la liberté d’expression figure encore dans notre Constitution…
(3) St. Martin, Les monnaies méditerranéennes en Gaule du nord (150 av.-100 ap. J.-C.) RN 2013, p.329-354. C’est ainsi que cet auteur, dans son exposé non exempt d’erreurs et de sérieuses lacunes, considère comme « opaques » les importants lots monétaires récoltés légalement sur le camp militaire de La Chaussée-Tirancourt (Somme) et décide arbitrairement de ne les pas prendre en compte. Or, cet ensemble monétaire exceptionnel figure en bonne place dans la C.A.G. de la Somme, 80/2 2012, 187-p. 279 à 284, dont l’auteur n’est autre qu’un membre éminent du S.R.A. de Picardie.
(4) Une conférence sur le thème « Monnaie et Archéologie » aura lieu lors de la réunion d’Octobre 2014 à la S.É.N.A. Bien entendu, la question complexe de la monnaie « en contexte » y sera précisément évoquée.
(5) À titre d’exemple, l’ensemble cultuel de Digeon (Somme) a livré lors de fouilles programmées plus de 5800 monnaies gauloises. Seul un dépôt de 29 monnaies en or était en place mais hors stratigraphie, et moins d’une vingtaine de monnaies se trouvaient dans un niveau datable pas vraiment clos. Cf. L.-P. Delestrée, Monnayages et peuples gaulois du nord-ouest, éd. Errance et Maison Florange, Paris 1996, Chap. X p. 88-96.
(6) À propos de l’article précité (supra note 3), le fait de rejeter des ensembles monétaires très homogènes (note 19 de l’article en cause) trouvés sur les emplacements reconnus de camps militaires post-césariens de l’armée romaine, jamais réoccupés par la suite, en les qualifiant d’ailleurs à tort d’oppida, dénote une méconnaissance de la réalité du terrain et de la notion même de « contexte archéologique ».
(7) C’est ainsi, par exemple, qu’une large part des collections conservées au M.A.N. et assorties d’utiles provenances (fouilles anciennes) n’est pas consultable depuis plus d’un demi-siècle, sauf par de rares privilégiés, et que l’admirable collection de l’Hôtel des Monnaies de Paris a été mise en caisses et envoyée en province dans un dépôt inaccessible pour les chercheurs.
(8) « En fait de meubles, la possession vaut titre » (article 2276 du Code Civil).
En d’autres termes, le citoyen qui possède des monnaies en est réputé propriétaire légitime, sauf à celui qui contesterait cette présomption légale d’assumer la charge de la preuve contraire.
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Louis-Pol Delestrée,
Directeur de publication des Cahiers Numismatiques de la S.É.N.A.